samedi, décembre 02, 2006

Un exil ordinaire

mercredi, mars 02, 2005


Bellecour Posted by Hello

jeudi, janvier 20, 2005


copyright J.A. Kornweitz Posted by Hello

Avant de disparaître

Le 23 juin 1943
«Maman, chers vous tous,
" Le papier est rare et c'est pourquoi je vous écris sur ce torchon. Pour envoyer des lettres aussi, c'est une histoire, et nous sommes heureux d'avoir trouvé quelques âmes charitables qui nous permettent de vous écrire plus souvent.
«Il y aurait beaucoup à dire sur notre séjour en villégiature, aucun travail à accomplir, aucune corvée non plus. Alors, on reste couché le matin et l'après‑midi. Il est vrai qu'on mange juste assez pour ne rien faire.
«Après l'angoisse provoquée par la menace suspendue sur nos têtes ces deux derniers jours, menace de déportation, nous nous trouvons satisfaits et souhaitons ne pas faire l'expérience de cette horrible chose. On en arrive à espérer la continuation de notre épreuve, telle quelle, sans aggravation. On fait l'apprentissage du parfait clochard, sans linge de rechange, sans savon, mais on est sale entre amis, c'est une consolation. Nous ne cessons de rapprocher de vous toutes nos pensées. Nous avons hâte de recevoir de vos nouvelles. Bons baisers à tous.
" André »

" P.S. N'oubliez pas que vous pouvez nous expédier à l'un comme à l'autre des colis de ravitaillement, sans étiquette, à condition de payer le port (les étiquettes vous donnent droit au port gratuit). Envoyez des œufs durs, sucre, pain, saucisson, confiture, biscottes, biscuits. Nous n'avons qu'une soupe à midi et une soupe le soir, de légumes chaque fois. Merci d'avance, à bientôt.
" André. »

Jeudi 24 juin 1943
" ... Comme je vous l'ai dit hier, il y avait un danger de déportation et mille personnes, hommes, femmes et enfants, ont quitté le camp pour une destination inconnue et c'était un spectacle lamentable. Dieu nous a préservés de cette déportation mais tout danger n'est pas écarté, car il est question d'un nouveau contingent et nous pouvons en être, car c'est un peu au petit bonheur. Par conséquent, n'envoyez pas de deuxième colis avant d'avoir reçu notre accusé de réception...
" ... Nous dormons sur un lit en fer et une paillasse avec couverture et notre sommeil est sans trouble, quoique nous soyons 40/45 personnes dans la même salle comme au régiment. Ce qui est déplorable, ce sont les W.C., jamais je n'ai vu pareille horreur, mais, paraît‑il, au régiment c'est pareil... »

25 juin 1943
« ... Malgré l'atmosphère lourde du camp où des recensements se font en vue de prochaines déportations, nous demeurons calmes et résignés et laissons le destin s'accomplir. N'envoyez pas de colis avant de recevoir notre accusé de réception du premier qui j'espère est déjà en route.
" De toute façon, il faut dorénavant envoyer les colis par l'entremise de L'UGIF, à son dépôt, Bd. de Belleville, Paris (20') qui nous les fera parvenir. Il faut correspondre avec l'UGIF, à son bureau, 29 rue de la Bienfaisance, Paris, pour connaître notre sort, si nous sommes maintenus ici ou déportés... »

28 juin 1943
« ... Papa et moi couchons l'un au‑dessus de l'autre sur un châssis en bois avec paillasse; nous sommes les uns sur les autres pour ainsi dire, environnés de gens de conditions absolument diverses. Docteurs, avocats, commerçants, intellectuels, mais également voyous de première catégorie. Tous, nous portons l'étoile et de ce fait les différences de classe se trouvent automatiquement supprimées. Comme nous vous l'avons déjà dit, le problème de la nourriture est le plus préoccupant; les rations sont tellement minimes et nous ne pouvons nous en contenter. Pour nous permettre d'attendre vos colis qui, je vous le rappelle, peuvent parfaitement dépasser largement le poids de 3 kilos fixé comme minimum, nous avons dû nous endetter pour acheter hors cours des rations de pain. Inutile de vous dire les prix atteints par ces denrées, ils sont absolument inconnus dans le "civil'' »

30 juin 1943
" ... L'emprunt que nous avons obtenu ici nous a permis d'acheter des vivres et améliorer notre menu. Mr. Bedenheimer nous a passé deux fois du beurre, Mme Blum de Nice, du sucre, et M. Dikansi, quelques gamelles supplémentaires, sans oublier d'autres voisins dont le fils Bouchara. Enfin, on se débrouille, et il ne faut pas vous inquiéter pour nous. Nous attendons aujourd'hui les colis que vous nous avez envoyés et j'espère qu'ils arriveront intacts. je vous recommande de ne pas hésiter à bien emballer tout colis en employant beaucoup de boîtes en métal surtout pour le beurre, pour bien le conserver; les boîtes nous servent d'ustensiles, soit pour boire, soit pour faire cuire les aliments ou tout autre usage. N'hésitez pas pour la dépense d'emballage, ça se retrouve. J'espère que vous avez fait partir aussi un colis de vêtements comme je vous l'avais demandé, les pantoufles en alfa me serviraient bien ici pour promener dans la cour. Si vous trouvez des pantoufles pour la douche, pour aller dans l'eau, genre lofa ou en bois, ça serait commode. Nous avons quatre fois par semaine trois douches froides et une chaude, et je ne m'en prive pas. Je fais aussi ma culture physique avec un camarade de chambrée, ce qui me manque ici, c'est le savon et je l'attends avec impatience. Les W.C., je m'y habitue comme les autres en y allant de très bonne heure; enfin, nous nous adaptons à ce régime de prisonniers partagé avec tant de sérénité par tant de monde, hommes, femmes et enfants, jeunes et vieux... »


[.......]

Ce mardi 27 juillet 1943
«Mes chers enfants
«J'écris tous les jours régulièrement et je remets cette lettre à un voisin de chambrée qui est autorisé à sortir du camp "en mission" pour racoler à Paris les parents des détenus qui ont donné leur adresse dans la capitale, les faire venir au camp pour être déportés ensemble en famille. C'est une mission qui n'est guère noble, mais les "missionnaires'' ont laissé dans le camp des personnes qui répondent d'eux: leur femme, leurs enfants et s'ils ne rapportent pas du "gibier" et s'ils ne reviennent pas eux‑mêmes, des représailles terribles attendent leur famille laissée en otage.
«Jusqu'à présent, aucune défection parmi ces missionnaires; aucun ne s'est éclipsé ou disparu et de "gibier" ils n'en apportent guère ou peu... »

Jeudi 29 juillet 1943
«Je vous ai écrit hier et annoncé nos déportations probablement dans une ville de France, mais je crois qu'il faut déchanter, nous allons tous vers l'Est, destination inconnue. Le départ aura lieu samedi prochain et André est avec moi. J'ai cru un moment qu'il serait épargné comme agent de police, mais au dernier moment, on l'a remis dans le rang... »

30 juillet 1943
" Ma chère Bella et enfants,
" jusqu'à hier soir nous avons tenté de couper à la déportation par des stratagèmes spéciaux mais sans succès. Nous apprenons l'ordre par les blocs 812 et 813 et devons boucler pour le départ qui doit avoir lieu demain matin, samedi, sauf contrordre, avec nous (beaucoup de personnes de notre chambre faisaient partie d'un convoi de 1000 personnes). Il est très probable que nous ferons un arrêt à Metz, tout comme il est advenu à Simon et Marthe et à tous les convois précédents, mais ce que nous avons de plus réconfortant, c'est que nous voyons la fin de la guerre pour bientôt. Le moral des Allemands est bas sinon leurs armes, et ils capituleront vite comme l'Italie dont la capitulation est certaine d'après les nouvelles de ce matin. Évidemment le voyage est pénible, l'éloignement de la France aussi, mais que faut‑il faire sinon bonne figure contre mauvaise fortune. Nos souffrances seront comptées pour le Salut de nos enfants dont j'épelle le nom de chacun chaque soir pour le mettre sous la protection divine. Je souhaite que la présente vous trouve en bonne santé et en sécurité. je me soucie beaucoup pour vous tous et si j'étais rassuré en ce qui vous concerne, je partirais le coeur plus léger. Ai pourtant confiance en Dieu et pense que Maurice s'est bien débrouillé dans le rôle de chef prématuré, naturellement, je ne sais quand cette lettre partira ni quand elle vous parviendra. #Pour quelques temps n'attendez plus de lettre de notre part. " je vous embrasse tous très fort. »

C'est fini. Armand Nizard et son fils n'écriront plus. Ils ont été déportés le 31 juillet 1943 à Auschwitz (convoi n' 58).


Marseille, Vichy et les Nazis, le temps des rafles, la déportation des Juifs, Amicale des déportés d’Auschwitz et des camps de Haute Silésie.

samedi, janvier 15, 2005

Copyright J.A. Kornweitz

Posted by Hello

mercredi, janvier 12, 2005

Dieu est il mort à Auschwitz ?



A cette terrible question de la mort de Dieu pour le croyant faut-il substituer l’interrogation de la présence de Dieu dans l’histoire contemporaine ? Dieu se serait-il absenté, l’éclipse de sa présence au moment du Hourban[1] serait elle une pierre dans le jardin de ceux qui assument que Dieu meurt pour laisser place à une libre humanité universelle et nous juifs, jadis témoins choisis, devons mourir pour entrer dans cette humanité.
Je ne veux pas répondre à cette question par une dissertation philosophique pour cela je vous renvoie à la lecture de Hans Jonas, Emil Fackenheim, Hetty Hillesum, André Neher, Emmanuel Levinas et tant d’autres qui depuis tant d’années ont nourri ma réflexion, parallèlement à mon interrogation identitaire et ma « rééducation » religieuse et à mes recherches historiques.
De la place qui est la mienne aujourd’hui, avec ce que je sais et ce que je ne sais pas, je dis que nous juifs ne devons pas mourir pour exister.
Auschwitz et la Shoah sont les fruits du Béhémoth[2] tel que Franz Neumann, maître de Raul Hillberg, le définit dans son livre Structure pratique du National Socialisme. Le mal absolu, auto généré par l’humain pour détruire l’humanité. Dieu n’y est pour rien.

La question demeure ; où était Dieu pendant ces années de règne du mal ? Etait il absent, en retrait ?
La non preuve de l’existence de Dieu n’est pas un obstacle à la foi, donc je m’autorise à écrire que Dieu a vu, le sort fait aux juifs, aux Tsiganes aux hommes et aux femmes.
Dieu a vu Karin, 6 ans, traverser les Alpes à pied pendant trois jours ; passer deux cols de plus de 2500 m marcher dans les premières neiges de septembre 1943, Dieu l’a vu se faire arrêter par la Wehrmacht, Dieu a vu le train de Nice à Drancy, puis le convoi 64 du 7 décembre pour Auschwitz, Dieu a vu Karin arriver à Auschwitz, Dieu a vu la sélection et l’enfant gazée et brûlée a rejoint le million d’enfants qui trouva la mort pendant ces années où le National Socialisme tenta de détruire l’humain.
Dieu a laissé Ojser son grand-père survivre pour qu’il puisse savoir que ses deux fils et son unique petite fille avaient disparu dans la Shoah, Ojser n’a pas eu de lieu pour pleurer ses morts. Comme tant d’autres me direz-vous ? Oui mais pour chacun la douleur, l’horreur, la puanteur, l’expérience était unique, pour chacun de nous.
Dieu a vu et il n’a rien fait.
Le million et peut-être davantage d’enfants juifs massacrés par le génocide nazi ne sont ni morts à cause de leur foi, ni en dépit de leur foi juive. Après la promulgation de la loi nazie définissant comme juif tous ceux qui ont au moins un grand-parent juif, les juifs ont été massacrés pour la foi de leurs arrière-grands-parents. Si ces arrières grands-parents avaient abandonné la foi juive leur descendance aurait pu être parmi les criminels nazis et non parmi les victimes. Mais en restant dans la foi ils ont offerts un sacrifice à Dieu, le même que celui d’Abraham offrant son fils, sauf qu’ici en ce lieu, ce lieu où régnait le Béhémoth, il n’y a pas eu de victime de remplacement, pas de bélier en substitution. C’est pourquoi la Shoah n’est pas un holocauste.

Elie Wiesel raconte l’histoire de juifs pieux priant pendant la guerre, entre un autre juif un peu fou qui s’écrie, « Chut juifs ! Ne priez pas si fort ! Dieu pourrait vous entendre. Et il saurait qu’il y a encore des juifs qui survivent en Europe. » C’est pourquoi je crois intimement, douloureusement que Dieu était absent à Auschwitz.
Est-il revenu ? Je ne sais pas mais malgré ce doute je reste et demeure juive. J’espère que mes arrières petits enfants le seront encore.

[1] Catastrophe en Hébreu
[2] dans l’eschatologie juive Béhémoth et Léviathan désignent deux monstres : Béhémoth règne sur la terre c’est à dire dans le désert et Léviathan règne sur la mer. Ce sont tous deux des monstres issus du Chaos

vendredi, janvier 07, 2005

Aucun coeur n'est si entier qu’un coeur cassé.

J'ai écrit ce texte pour un sermon de Roch Hachana, je trouve que pour le nouvel an ça marche aussi.

Existe-t-il quelqu'un qui n'ait jamais éprouvé de la déception ? Certains d’entre nous peuvent APPARAÎTRE ainsi ,béni, quant à sembler intact à la perte. Mais grattez un peu le vernis de chacun : sain, riche, attrayant, prétendument au moins et, juste au-dessous de la surface, vous trouverez la déception. Y a-t-il un seul être vivant qui ait pu se soustraire aux flèches de la mauvaise fortune ?

La déception revêt beaucoup d’aspects : nous hébergeons un espoir, le consolidons tendrement au cours des années, pour le voir un jour s’évanouir devant nos yeux Nous grandissons en sécurité dans un pays qui nous a fait de la place au cours des siècles et un jour les événements nous rattrapent et un sentiment d’insécurité insidieux s’installe pour certains. Nous voilà réunis, gardés, par la police, la sécurité communautaire, nos propres membres se relaient pour sécuriser l’accès à notre lieu de prière. Ce soir pour moi la déception est là, présente dans cette manifestation outrageuse de sécurité dont je ne renie pas une certaine nécessité. Quand notre président Guy Slama , m’a annoncé les mesures prises ce soir , ma réaction première a été de dire on se croirait en 1933, même si aucune analogie politique n’est fondée, la déception est là, où est passée notre liberté de culte, celle que nous juifs de France avons obtenu sous l’Empire, sommes nous en danger comme les juifs allemands l’étaient en 1933 non , bien sûr mais en nous protégeant , on nous rogne un espace de liberté et c’est dans cet espace que se loge la déception.

Nous avons par le passé apprécié d’être en bonne santé, mais maintenant nous pouvons être malade. Chaque lit d'hôpital indique la vulnérabilité humaine et chaque pierre tombale déclare notre mortalité. Personne pas même les jeunes ne sont immunisés contre la douleur. Ils éprouvent l'anéantissement quand l'espoir excède la réalisation et quand l'accomplissement fait défaut à l'anticipation.

S'il y a une expérience commune à tous, c'est la déception et la douleur qui l'accompagne. Une vieille histoire illustre l'universalité de ces émotions. Un patient se rend chez un médecin à Naples en Italie. Il se plaint de la tristesse résultant d'une série de déceptions. Il ne peut pas se débarrasser de ce sentiment profond. Le médecin lui dit, "je vous conseille d’aller au théâtre où l’incomparable Carlini se produit Ce grand comédien secoue de rire des foules. Oui allez voir Carlini. Ses singeries vous ôteront votre mélancolie."

À ces mots, le patient éclate en sanglots, "mais, je suis Carlini."

Cela nous aide de savoir que la déception est universelle. Cette conscience que la douleur est notre sort commun ne nous rendra pas un être aimé ou ne nous guérira. Mais elle pourrait nous protéger contre ce jaillissement d’auto affliction que nous éprouvons quand nous estimons que personne n'a souffert autant que nous.

Nous pouvons remplir notre sac de blanchisserie psychique de toutes les choses que nous avons mal fait et porter ce sac de culpabilité avec nous toute notre vie.

Nous pouvons aussi feindre que cela ne s'est pas produit. Si nous ne parlons jamais d'elle, peut-être nous ne devrons faire rien à son sujet. Dans les grandes espérances, Charles Dickens raconte l’histoire d’une femme dont le fiancé a disparu le jour des noces. Pendant toutes les années qui ont suivi, elle a porté sa robe de mariage. Sa vie s'est arrêtée, figée, à l'heure de sa grande douleur.

Nous tous avons perdu quelque chose, mais cela ne signifie pas que nous sommes perdants.

Nous tous n'avons pas réalisé quelque chose que nous avons voulu, mais cela ne fait pas de nous des échecs.

Pendant les dix jours entre R.H et Kippour, culminant avec la prière de Kol Nidre, nous admettons que nous avons tous fait des erreurs, mais… nous ne sommes pas des erreurs.

NOUS N'ALLONS PAS ÉVITER LA DÉCEPTION. MAIS NOUS POUVONS CERTAINEMENT APPRENDRE D'ELLE.

Laissez moi vous raconter une histoire, qui peut être décrite comme une histoire d'enfants pour adultes. Écrite par Shel Silverstein, elle s'appelle "le morceau absent."

Il était une fois, un cercle à qui il manquait un morceau et il était très malheureux. Il est allé partout dans le monde rechercher son morceau manquant. Il traversa les collines les fleuves, des montagnes hautes et roula vers le bas dans des vallées, par la pluie, la neige, et le soleil le vent et les tempêtes, il est allé rechercher son morceau absent. Partout où il a cherché et parce qu'il lui manquait un morceau, il a dû rouler très lentement. Pendant longtemps, il s’est arrêté pour regarder les fleurs parler aux papillons. il s’est arrêté pour se reposer dans l'herbe fraîche. Parfois il a doublé un escargot, et parfois -- l'escargot l'a doublé. Partout où il a été, il a continué à rechercher son morceau manquant

Mais il ne pourrait pas le trouver. Quelques morceaux étaient trop grands et certains étaient trop petits ; certains étaient trop à angle droit et les autres étaient trop pointus. Aucun d'eux ne s'adapteraient. Puis soudainement un jour, il a trouvé un morceau qui a semblé s'adapter parfaitement. Le cercle était entier enfin; rien n'était absent. Il a fixé le morceau en lui-même et a commencé à rouler loin. Parce que maintenant il était un cercle entier et ininterrompu, il pouvait rouler beaucoup plus rapidement. Ainsi il a roulé rapidement dans le monde entier, près des lacs et près des forêts – trop vite aussi pour qu’aucun insecte ne puisse voler à ses côtés et lui parler. Quand le cercle a réalisé qu'il roulait trop vite pour faire quoique ce soit qu’il avait fait pendant des années, il s'est arrêté. A contrecœur, il a déposé son morceau manquant, et il a roulé lentement loin, de par le monde, recherchant son morceau manquant.


Cette belle histoire nous enseigne une chose si importante : d'une manière étrange, une personne est plus entière quand elle est inachevée ; une personne est plus humaine, quand il lui manque quelque chose.

Ce petit peu d'imperfection nous guérit de notre illusion que nous sommes les autres. La femme qui pense qu'elle a tout ne saura jamais ce que c’est de désirer et d’espérer. L'homme qui estime qu'il doit toujours être totalement autosuffisant ne partagera jamais ses sentiments avec d'autres.

Nous tous connaissons des personnes qui ont peur d’abandonner ce qu'elles ont. Nous connaissons les hommes et les femmes qui peuvent financièrement se permettre d'être généreuses, mais qui ont psychologiquement peur de donner, parce qu'elles sentent qu’elles donnent une partie d'elles-mêmes. En fait, l'opposé est vrai. Quand nous partageons ce que nous avons, quand nous pouvons si possible laisser quelque chose, nous devenons réellement une personne plus complète.

Pensez à la dernière fois où vous avez fait un cadeau sacrificatoire : du temps, de l'argent, ou du talent à une cause digne? Avez vous le sentiment d’être un perdant ou un gagnant ? Plus faible ou plus fort ? Plus en phase avec votre système de valeur et plus une personne entière ? Et peut-être, juste peut-être… plus près de Dieu ?

La perte peut être une chose terrible. Il n'y a aucune raison de nier la douleur qu'elle apporte. Mais si nous le manipulons bien, la perte peut également apporter la bénédiction.

La prière du kaddish ne fait aucune mention de la mort. Au lieu de cela, c'est un éloge de la vie et une expression glorieuse des bénédictions vers Dieu pour les cadeaux que nous avons reçus.

La gratitude est essentielle à la vie saine. Nous apprenons la gratitude avec précision parce que nous ne pouvons pas avoir tout. Les enfants en bas âge ne comprennent pas cela. Pour eux, le monde est divisé entre ce qu’ils ont et ce qu'ils n'ont pas encore....mais ils font des plans pour avoir. Il est difficile de leur faire comprendre qu'il y a quelques choses qu'ils n'auront jamais et que certaines des choses qu’ils auront pourront leur être enlevées. Et c'est probablement aussi bien. Ils méritent quelques années pour rester des enfants ; ils éprouveront la perte assez tôt. Mais nous qui nous roulons notre vie lentement, avec nos morceaux absents, nous pouvons comprendre cela.

Dans le birkat hamazon, la bénédiction après le repas, il y a une ligne vers la fin: "Puisse Dieu me bénir ainsi que ceux autour de moi en tant qu'Abraham, Isaac et Jacob bénis par Dieu, shleimah de bivracha, avec une bénédiction complète, avec tout, une bénédiction à laquelle rien ne manque."

Les notes du Midrash disent: "peut-être Abraham, Isaac, et Jacob ont été bénis avec un shleimah de bracha, une bénédiction de laquelle rien n’était absent. Mais personne depuis lors ne l’a été."

En fait, quand on y pense, les patriarches et les matriarches ont tous eu leurs morceaux absents. Chacun a eu des problèmes avec ses parents, ses conjoints, ses enfants – ou avec tout ce qui précède. Abraham s'est fâché avec son père à propos d'une question de religion, quitté la maison, et ne l'a jamais revu. Il a exilé une de ses épouses dans le désert. Sarah a dépensé une vie entière à essayer de tomber enceinte. Isaac a été presque tué par son père. Jacob a trompé son père et, en tant qu'adolescent, s'est sauvé de la maison.

Il n’existe pas une vie à qui il ne manque pas un morceau. Si c'est une vie pleine , alors il y aura douleur déception, ou perte. Et c’est probablement ce que la prière prévoit quand elle indique que les patriarches ont reçu une bénédiction complète. Pas parce qu’ils ont tout obtenu l'ont voulu, et l’ont gardé. Mais plutôt : parce que Dieu leur a donné une PLEINE vie, une vie complète ; de l'amour ET de la douleur, parce que comment peut il y avoir amour sans douleur ? Dieu leur a donné une pleine vie d'espoir ET de déception, parce que si nos espoirs sont grands, nous aurons sûrement de la déception.


Et qu'ont-ils appris de ces périodes difficiles ? Ils ont découvert deux choses importantes au sujet d'eux-mêmes : d'abord, ils ont découvert que un énorme réservoir d'énergie et de force qu'ils n'ont jamais connu. Une nouvelle confiance en eux qui pourrait être exprimée comme ceci : "je vais y arriver en ces temps difficiles. Et quand je , je sais que je pourrai obtenir presque n'importe quoi."

En second lieu, ils se sont rendus compte pour la première fois comment ils pourraient être utile désormais aux autres dans des circonstances semblables. Et ils sont rapidement sortis d’eux mêmes.

La déception agrandit la perspective de notre vie de sorte que nous puissions comprendre que plusieurs des choses que nous poursuivons sont insignifiantes. Soudainement, nous sommes bénis avec une mesure améliorée pour juger ce qui nous arrive chaque jour.

Les psaumes sont la partie la plus sous-estimée de toute la littérature biblique. Jetez un coup d'oeil avec moi au psaume 30, l'histoire d'un homme qui avait l'habitude de croire que rien de mauvais ne pourrait jamais lui arriver.
Eternel tu m'as fait remonter des enfers, tu m'as fait revivre quand je tombais dans la fosse. Cet homme était reconnaissant à Dieu de lui être si bon. en échange, il a vécu une vie morale, prié régulièrement, et a donné pour la tzedaka.

Alors soudainement une série de calamités lui est arrivée.

Panecha de Histarta ; hayiti nivhal.
"tu as tourné ton visage de moi, et j'ai été terrifié." Le monde de l'homme s'effondrait.

Mais alors il a fait une découverte essentielle. Il a appris quelque chose au sujet de lui même qu'il ne pouvait pas avoir connu avant ; qu’il était capable de croire en Dieu même lorsque il vivait la tragédie. Avait-il cru en Dieu parce que Dieu était Dieu -- ou seulement parce que Dieu avait été bon avec lui? Après il a su qu'il n'y avait rien de conditionnel au sujet de sa foi. Dieu lui avait donné quelque chose qu'il n'a jamais eu avant, la force de continuer en dépit de ses blessures, en dépit de sa douleur.

A présent sa foi était entière. Perdre un morceau l'avait guéri. La religion de "je t'aime aussi longtemps que tu m'es bon" as été remplacé par "je t'aime parce que tu es Dieu et sans toi je ne pourrais pas l'avoir fait."

Cela s'appelle : faire confiance, confiance en nous-mêmes, confiance en les autres, et, surtout, confiance dans une puissance suprême qui nous aidera à passer les temps les plus difficiles de nos vies. Si vous avez connu la grande déception, si vous n’avez jamais perdu un morceau de vous-même et que vous avez continué votre vie, votre confiance a été examinée et trouvée.

Dans le Mahzor il est demandé : Qui doit vivre et qui doit mourir ? Au lieu de cela, je préfère cette question : Qui sera détruit par la perte et qui continuera à vivre et à former son propre destin -- en dépit de la perte ?

La réponse que je préfère a été offerte par Rabbi Nachman de Bratzlav et fait écho à l’histoire "du morceau manquant" :
"aucun coeur n'est si entier qu’un coeur cassé."

Je vous souhaite en ce début d’année de rouler doucement votre vie comme le cercle de l’histoire et de former votre propre destin.
Le shana tovah u'metukah -

jeudi, janvier 06, 2005


Leon H.
Posted by Hello

Choisis la vie

Pour chacun de nous la représentation des convocations d’automne est différente, dans son sens et son image. Ce moment très particulier de l’année je ne le vis pas à chaque fois de la même manière, mais à chaque fois il me ramène à une époque lointaine et à deux épisodes distincts mais indissociables.
Le premier, où préadolescente je fus chassée de l’étage des hommes pour rejoindre contrainte celui des femmes, quittant le havre de paix que représentaient les genoux de mon grand-père, pour affronter les bavardages et simagrées de l’étage du dessus. De loin je pouvais voir mon grand-père, presque aveugle, prier sous son long Talith blanc et noir. Mais je n’y étais plus, je ne sentais plus son eau de Cologne, la même disait-il depuis son arrivée à l’Ouest au début du siècle, celle dont la marque était son année de naissance, 1888. Je ne l’entendais plus, je savais qu’il priait d’une voix douce, de temps en temps il s’arrêterait épongerait son crâne chauve et son visage avec un mouchoir immaculé, ne me montrerait plus le texte, et reprendrait avec son accent polonais, l’hébreu avec lui devenait une autre langue. Quand le choffar sonna ce jour là, je courus dans les escaliers, traversait la grande synagogue pour le rejoindre et le shammes ne m’attrapa pas avant la fin de la cérémonie. Je dus promettre de ne plus recommencer. Je promis, mais ce fut aussi la dernière fois que j’entendis le choffar dans cette synagogue.
Les deux années suivantes, je restais dans la cour, attendant qu’il sorte pour recevoir sa bénédiction. Ses deux grandes mains sur ma tête les pouces joints et les doigts dans la position des Cohen, sous son talith, en ces temps je croyais que la proximité de Dieu, c’était ça.
Puis survint le deuxième épisode. La troisième année je ne reçu pas ma convocation …ma mère était morte quelques jours plus tôt et j’avais perdu toute idée de proximité avec Dieu.
Aucun de mes grands-pères, ne se rendit à la synagogue, Leib Arie ben Moshe Ha Cohen, n’alla pas prier avec les autres, il ne fut pas foudroyé, il avait 87 ans et vécut encore quatre ans. Il me bénit une dernière fois pour mon mariage, il mourut cette année là, un mois avant les convocations d’automnes. Leon Yehuda ben Emmanuel resta aussi chez lui, il venait de perdre sa deuxième fille, il avait 82 ans et vécut encore cinq ans Je ne m’y rendis pas non plus.

Au décès de ma mère, j'avais quinze ans, j'étais détruite, mon monde venait de s'écrouler, le seul à blâmer à mes yeux était Dieu, qui me privait du seul être qui me fut essentiel. Je lus Kohelet (l’Ecclésiaste). Je découvrais les paroles qui mieux que mes mots exprimaient ma douleur, mon chagrin et le désespoir noir de ma condition orpheline, ce livre décrivait l'abîme qui me séparait des vivants. Ma perception du temps avait changé, il y avait le temps d'avant la mort et le temps d'après, or ce dernier ne pouvait exister, je lui refusais le droit de m'entraîner dans un demain différent. Le simple décompte des heures perdait tout sens. Le monde extérieur était vain, "buée, vapeur" disait l'Ecclésiaste. Je refermais le livre pour de nombreuses années et avec lui ce qu’il décrivait, avec la leçon qu’il donnait. Je tentais d’oublier la leçon, de m’oublier et entamais une période de survie.
Le retour à la vie est une chose inéluctable, un ordre impératif nous est donné « choisis la vie », à nouveau j’obéis, inconsciemment bien entendu. Et je donnais la vie en toute conscience.

L’histoire de ma famille est inscrite des deux côtés de la vallée du Rhin, inscrite en creux dans les linteaux des maisons détruites qu’ils ont occupées au fil des siècles, inscrite dans les pierres des marchés aux bestiaux, sur les chemins qu’empruntaient les colporteurs puis plus tard sur les bancs des universités, sur les murs des magasins, des moulins à huile, à farine, sur les monuments aux morts des soldats des guerres franco –allemandes des deux côtés, inscrite dans les registres et les memorbuch brûlés des communautés disparues d’Europe. Inscrite sur les listes de déportés, inscrite dans les cendres d’Auschwitz, dans la poussière de Gurs, dans les fosses communes de Bialystok, de Tallin et aussi dans les sous-bois de Mackenheim, sur les pierres des cimetières de Wintzenheim, Herrlisheim, Mulhouse, Breisach, Berne.
Je porte en moi comme chacun d’entre nous la mémoire de ces femmes et de ces hommes qui nous ont précédés. Aujourd’hui les convocations d’automne commencent pour moi par un retour sur ces chemins, chaque fin d’été j’arpente les allées des cimetières, je vais voir mes morts, ceux que j’ai aimé, ceux que j’ai « retrouvé », je n’ai pas encore été à l’Est de l’Est d’où je viens ; mais un jour j’irais. Chercher la trace des miens.

Depuis plus de douze ans je réponds à nouveau aux convocations d’automne, je porte désormais mon propre Talith, j’ai choisi le même que mon grand-père, et maintenant ce sont mes enfants qui me rejoignent.
Je prie parfois avec ferveur, parfois je ne prie pas, mais je suis là, avec vous, avec eux. J’ai beau avoir choisi la vie, mes morts restent présents, vivant en moi, et quand je rappelle leurs noms je vois leurs visages. Si la faim et la soif à la vingt-cinquième heure se rappellent à mon souvenir, c’est l’odeur de l’eau de Cologne qui me manque le plus.