mercredi, janvier 12, 2005

Dieu est il mort à Auschwitz ?



A cette terrible question de la mort de Dieu pour le croyant faut-il substituer l’interrogation de la présence de Dieu dans l’histoire contemporaine ? Dieu se serait-il absenté, l’éclipse de sa présence au moment du Hourban[1] serait elle une pierre dans le jardin de ceux qui assument que Dieu meurt pour laisser place à une libre humanité universelle et nous juifs, jadis témoins choisis, devons mourir pour entrer dans cette humanité.
Je ne veux pas répondre à cette question par une dissertation philosophique pour cela je vous renvoie à la lecture de Hans Jonas, Emil Fackenheim, Hetty Hillesum, André Neher, Emmanuel Levinas et tant d’autres qui depuis tant d’années ont nourri ma réflexion, parallèlement à mon interrogation identitaire et ma « rééducation » religieuse et à mes recherches historiques.
De la place qui est la mienne aujourd’hui, avec ce que je sais et ce que je ne sais pas, je dis que nous juifs ne devons pas mourir pour exister.
Auschwitz et la Shoah sont les fruits du Béhémoth[2] tel que Franz Neumann, maître de Raul Hillberg, le définit dans son livre Structure pratique du National Socialisme. Le mal absolu, auto généré par l’humain pour détruire l’humanité. Dieu n’y est pour rien.

La question demeure ; où était Dieu pendant ces années de règne du mal ? Etait il absent, en retrait ?
La non preuve de l’existence de Dieu n’est pas un obstacle à la foi, donc je m’autorise à écrire que Dieu a vu, le sort fait aux juifs, aux Tsiganes aux hommes et aux femmes.
Dieu a vu Karin, 6 ans, traverser les Alpes à pied pendant trois jours ; passer deux cols de plus de 2500 m marcher dans les premières neiges de septembre 1943, Dieu l’a vu se faire arrêter par la Wehrmacht, Dieu a vu le train de Nice à Drancy, puis le convoi 64 du 7 décembre pour Auschwitz, Dieu a vu Karin arriver à Auschwitz, Dieu a vu la sélection et l’enfant gazée et brûlée a rejoint le million d’enfants qui trouva la mort pendant ces années où le National Socialisme tenta de détruire l’humain.
Dieu a laissé Ojser son grand-père survivre pour qu’il puisse savoir que ses deux fils et son unique petite fille avaient disparu dans la Shoah, Ojser n’a pas eu de lieu pour pleurer ses morts. Comme tant d’autres me direz-vous ? Oui mais pour chacun la douleur, l’horreur, la puanteur, l’expérience était unique, pour chacun de nous.
Dieu a vu et il n’a rien fait.
Le million et peut-être davantage d’enfants juifs massacrés par le génocide nazi ne sont ni morts à cause de leur foi, ni en dépit de leur foi juive. Après la promulgation de la loi nazie définissant comme juif tous ceux qui ont au moins un grand-parent juif, les juifs ont été massacrés pour la foi de leurs arrière-grands-parents. Si ces arrières grands-parents avaient abandonné la foi juive leur descendance aurait pu être parmi les criminels nazis et non parmi les victimes. Mais en restant dans la foi ils ont offerts un sacrifice à Dieu, le même que celui d’Abraham offrant son fils, sauf qu’ici en ce lieu, ce lieu où régnait le Béhémoth, il n’y a pas eu de victime de remplacement, pas de bélier en substitution. C’est pourquoi la Shoah n’est pas un holocauste.

Elie Wiesel raconte l’histoire de juifs pieux priant pendant la guerre, entre un autre juif un peu fou qui s’écrie, « Chut juifs ! Ne priez pas si fort ! Dieu pourrait vous entendre. Et il saurait qu’il y a encore des juifs qui survivent en Europe. » C’est pourquoi je crois intimement, douloureusement que Dieu était absent à Auschwitz.
Est-il revenu ? Je ne sais pas mais malgré ce doute je reste et demeure juive. J’espère que mes arrières petits enfants le seront encore.

[1] Catastrophe en Hébreu
[2] dans l’eschatologie juive Béhémoth et Léviathan désignent deux monstres : Béhémoth règne sur la terre c’est à dire dans le désert et Léviathan règne sur la mer. Ce sont tous deux des monstres issus du Chaos